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[Home]studio : la création musicale [démocratisée]

Jeudi 18 juin 2020

Chamo, un de nos vieux photographes, au sens noble du terme, a piqué une gueulante, l’autre jour, à propos de la musique en 2020. Il disait ceci : « On ne va pas se mentir, 2020 est une sale période pour faire de la musique. C'est devenu trop facile au niveau technologique de monter son studio en DIY (ndlr : Do it yourself) et de sortir un album. Du coup, le marché est saturé de galettes médiocres qui noient les prods existantes de qualité. La solution est un retour aux sources, une musique live faite avec le cœur pour transmettre une émotion, un sentiment, un message dont la portée n'est pas limitée par des mots. La musique a besoin d'amour bordel, pas de fric! Where there is money involved, our soul slowly dies. »
J’ai alors pensé qu’il y avait des choses intéressantes à développer dans le discours de Chamo. Les évolutions technologiques modifient en effet notre manière de consommer et de produire de la musique. Y a-t-il vraiment un engouement pour les home studios (comprenez un studio d'enregistrement aménagé, à partir d’un pc et d’un logiciel, dans sa cave ou le grenier) ?
Quel est l’impact de la démocratisation des outils de production de la musique ? Les compos y perdent-elles de la qualité ?
On analyse ça avec les professionnels du sujet et les personnes concernées.




Le DIY revendiqué

Par exemple avec Lenny Pistol qui a enregistré son premier EP avec presque rien : une carte son, une guitare et quelques programmes. Il m’explique qu’enregistrer dans sa chambre est une question de liberté. C’est pouvoir faire les choses quand il le souhaite sans se soucier de l’horloge et de la productivité. Ça lui ouvre aussi énormément de portes au niveau créativité et expérimentation. « Investir dans un peu de matériel et bidouiller dans sa chambre coûtera moins cher que louer des sessions studios pour lesquelles on n’est même pas certain d’avoir le temps d’enregistrer ses prises, ajoute-t-il. Il est vrai que le rendu aura difficilement le même aspect sonore qu’une œuvre complètement produite en studio professionnel même si les effets et émulations numériques font, à l’heure actuelle, des miracles. »

Lavender Witch
Lavender Witch


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a aussi enregistré son premier album via un home studio dans un jardin familial du côté de Hasselt. « Cette opportunité d’enregistrement nous convenait, explique Anne-Sophie Sonnet, car on savait qu’on allait débarquer dans un endroit relax, géré par un ami avec qui nous pouvions discuter de ce qu’on voulait vraiment, le tout dans un esprit DIY qui nous convient très bien. L’enregistrement d’un album doit être une expérience plaisante et un moment de cohésion pour le groupe. On a donc misé sur l’entente, l’ambiance détendue et sur l’esprit du studio, plutôt que sur le matos et le niveau ''professionnel'' d’un studio. » Anne-Sophie ajoute que l’esprit DIY est un univers et une façon de penser moins lucrative et plus libre. Pour elle, il peut en émaner des choses plus créatives et moins cadrées.

Idem chez Annabel Lee
Annabel Lee


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qui, après un premier EP enregistré en home studio dans une ferme, est passé dans un studio plus structuré pour enregistrer le dernier album sorti en mars dernier. « Un studio à taille humaine, précise Audrey Marot. Je ne sais pas si on aurait envie d’aller dans une plus grosse structure. On est une équipe de potes, on fait tout ensemble. On est assez DIY. Notre dernier album est plus qualitatif mais ce n’est pas pour ça qu’on passe plus à la radio. Ça dépend ce à quoi tu aspires. J’aime les disques avec un son authentique. On fait du rock, le son ne doit pas être super léché. Je préfère les endroits qui ont une âme, plus undergound. »


Une étape vers le studio…

Mathieu Vandekerckhove (e.a. Amenra
Amenra


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, Syndrome
Syndrome


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, Skemer
Skemer


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) a lui aussi un studio à la maison mais sa finalité n’est pas la même. Quand il est satisfait de son enregistrement, il va dans un studio pour que l’enregistrement, le mixage et le mastering soient pris en charge par des professionnels « Un home studio est numérique, précise Mathieu. La plupart des studios d’enregistrement sont analogiques. Il y a une énorme différence de son entre numérique et analogique. Je préfère l’analogique. Il donne au son une couleur différente. Plus chaude. Mais pour moi le processus de création de la musique commence à la maison ».



Matthieu Hendrick (Krakin Kellys
Krakin Kellys


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) fonctionne de la même façon. Passer du home studio au studio pro est pour lui une étape primordiale dans son processus créatif. Il considère le home studio comme un outil de travail et de création au même titre que n’importe quel instrument mais pas comme un produit fini. « Un home studio ne remplacera jamais les talents d’un ingénieur du son, ajoute-t-il. Aller en studio, c'est changer d'air, c'est se recentrer sur son instrument, c'est apprendre à faire confiance aux gens avec qui tu as décidé de travailler. Ça m'a permis de pousser chaque album beaucoup plus loin que ce qui sortait de chez moi ou du local de répétition. »


… qui ne plait pas à tout le monde

Reinier Schenk (Saille
Saille


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) a été propriétaire d’un studio d’enregistrement professionnel pendant 20 ans. « J’ai arrêté quand les clients ont commencé à enregistrer à la maison, sont venus à mon studio, avec la plupart du temps des enregistrements vraiment merdiques, en me demandant d’améliorer tout ça. » Il précise que les musiciens qualifiés réussissent dans ce processus. C’est moins évident pour ceux qui le sont moins. Reinier ajoute que ces derniers peuvent faire du bon avec peu d’argent mais cela ne rend pas leur musique bonne. Il préfère le contraire : ok, le son pourrait être meilleur mais la musique est géniale. « Plus personne n’achète de cd, dit-il, le streaming est LA chose. Il est gratuit, ne génère pas d’argent, chaque morceau peut être enregistré à la maison gratuitement et mis sur Internet gratuitement, que ce soit intéressant ou non. Donc oui, la majorité des productions sont de la merde. »



« C’est scandaleux de dire ça, répond François Custers (Guilt
Guilt


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). Cela veut dire que si tu n’as pas d’argent, tu n’es pas un bon musicien ? Si cela permet à plus de monde de faire de la musique, tant mieux. Tout le monde peut faire de la musique, elle est universelle. »
François poursuit en disant que le home studio est un outil, une étape intermédiaire vers le studio professionnel. Les premières chansons de son projet Guilt
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qui est à ses débuts ont d’ailleurs été enregistrées en home studio. L’intention de François est bien, à l’avenir, d’enregistrer un album dans un studio pour être accompagné par un producteur. Il préfère ne plus avoir de barrières au niveau de l’accessibilité aux outils de création de la musique. Il me rappelle aussi qu’avant, il fallait être issu de la bourgeoisie pour avoir des instruments. « Ce n’est pas les home studios et la démocratisation des outils de production qui appauvrissent la musique, c’est le capitalisme ! », conclut-il.

Marcella Di Troia de Black Mirrors
Black Mirrors


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rebondit sur la démocratisation des outils de création et de production. « C’est une bonne chose, dit-elle. Cela permet à chaque artiste de pouvoir créer autant qu'il veut! Je suis prof de musique et je vois de plus en plus mes élèves qui composent leur propre musique. Parfois ça donne des démos vraiment cool! S’ils veulent aller plus loin, j'essaye de les diriger vers des personnes compétentes en matière de production pour qu'ils aient un produit plus fini et qui sonne pour le montrer au grand public. »
Pour la petite info, le prochain album de Black Mirrors
Black Mirrors


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est actuellement préparé en home studio, à la maison. Marcella trouve que c'est assez inspirant et que cela donne déjà une version un peu plus aboutie et globale de ce que deviendra le nouvel album du groupe. Patience !

Une réalité aussi pour les ingé son et les labels

Durant le confinement, Gérald Jans et André Six, qui ont chacun un job dans un studio d’enregistrement, ont carrément lancé L’Académie du gros son qui diffuse sur Facebook des conseils sur l'art de l'enregistrement et de la production musicale à domicile. Euh… Ces types sont des grands malades et se coupent l’herbe sous le pied, non ? ????
Gérald me répond : « peut-être mais je ne pense pas. Le fait que les artistes peuvent travailler chez eux est une réalité depuis longtemps. Il est loin le temps où tous les groupes devaient entrer en studio pour tout faire : réaliser des maquettes, enregistrer, mixer et masteriser. Beaucoup de groupes avec qui je travaille font ça en partie chez eux, mais pas tout de A à Z. »
Gérald est convaincu que, maintenant et encore plus dans le futur, un artiste peut, pour réaliser son projet, jongler entre travailler à la maison et faire appel pour certaines parties à un studio. « Pour un propriétaire de studio ça peut faire peur de perdre du travail, mais s’il peut se placer dans cette réalité et que l’idée lui plaît, on aura toujours besoin de lui. Je pense que la musique en sort gagnante. »


Crédit photo: Académie du gros son.

Juliette Demanet de Luik Music m’explique que, chez Luik Music , tous les morceaux qui sortent sur le label passent à un moment donné par un studio, que ce soit pour l'enregistrement, le mix ou le mastering final. L’équipe souhaite, le plus tôt possible dans le projet, faire collaborer les artistes avec des techniciens du son qui peuvent apporter une patte, une retouche et un recul non négligeable sur les compositions. Juliette ajoute ceci : « Attention, pour nous, home studio ne veut absolument pas dire qualité médiocre. Certains artistes dont nous nous occupons enregistrent leurs morceaux en home studio et le mastering se fait chez un professionnel. Tous les projets n'ont pas la chance de passer par des professionnels du son dès l'enregistrement, vive la diversité et la création avant tout! »

Chez le label Consouling Sounds , on travaille beaucoup avec des artistes DIY. « Ils se font appeler DIY parce qu’ils font de la musique pour un public très ciblé et ils font beaucoup de choses eux-mêmes dont l’enregistrement et la production, ajoute Nele Buys de Consouling Sounds. La plupart du temps, ces artistes ne sont pas intéressés par le business de musique. Ils ont une si petite audience qu’ils ne soulèveront pas beaucoup de profit financier. Ils ne s’attendent même pas à vivre de leur musique. Mais néanmoins, ils font ce qu’ils font aussi sérieusement que n’importe quel autre musicien. »
Nele précise aussi que la scène DIY n’est pas essentiellement composée d’artistes non professionnels, comme on le pense souvent. Elle pense que la vraie question est : sommes-nous mal à l’aise avec la démocratisation du processus de production de la musique ? D’après son expérience, Nele me répond par l’affirmative.

Une musique aseptisée ? Inintéressante ?

François Dediste du Blackout Studio est passé en activité complémentaire. Le studio a pourtant été son activité principale pendant 5 ans. Il travaille maintenant sur quelques projets par an. « J’avoue que si c'était mon activité principale, ça serait compliqué d'en vivre aujourd'hui », dit-il. Parce que l'enregistrement ne se rentabilise plus de lui-même. « En général, poursuit François, on investit de l'argent pour pouvoir ensuite en gagner. La vente des albums n'est plus du tout ce qu'elle était et elle ne rapporte plus vraiment d'argent. Le fait de pouvoir travailler en DIY coûte nettement moins d'argent. »
Il constate que la musique est devenue plus aseptisée. Il cite l’exemple de la batterie qu’il est assez compliqué d'enregistrer dans un home studio. Le musicien programme alors des batteries virtuelles. « Cela rend la mise en place plus mécanique dans la musique, ajoute François, les nuances de jeux sont également plus faibles. Cela mène à une exécution impeccable d'une manière mais également stérile. J'ai grandi en écoutant la musique des années 80/90, à l'époque on pouvait entendre une performance, un effort humain, aujourd'hui c'est devenu plus rare. »



Didier Gosset de Black Basset Records n’est pas tout à fait d’accord. Il s’explique : « Je pense qu'on acceptait sans doute plus de ''faiblesses'' de son, plus de sons bruts et accrocheurs à l'oreille dans les années 80 et 90, sans doute partiellement pour des raisons techniques ou esthétiques. Je ne pense pas que la créativité en la matière ait nécessairement baissé depuis. De notre côté, je veux croire qu'un batteur comme Rémy de La Jungle
La Jungle


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est créatif. Même si l'enregistrement ne s'est pas réalisé intégralement en studio, son approche reste viscérale et organique. Idem, à mes yeux du moins, pour des enregistrements comme ceux de Mont-Doré
Mont-Doré


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ou de Jean Jean
Jean Jean


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. »

Il ajoute que que certains genres s'aseptisent en matière de production sonore mais pour les genres qui nous tiennent à cœur, il a encore l'impression de découvrir de nombreuses saillies sonores de qualité.

Pierre Constant (Seno Nudo
Seno Nudo


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et Studio Al’Môjone) complète en disant que « le marché est saturé de musique, produite en studio classique ou en home studio, inintéressante, pauvre, abrutissante, formatée, véhiculant des valeurs de merde, qui sont faites avant tout pour nous faire acheter et consommer d’autres merdes, où l’image et les concepts priment sur la musique. » Voilà qui est dit ! Pour faire un disque qui marque, Pierre pense que le studio classique avec l’ingénieur du son professionnel et le producteur reste la meilleure des formules. Cela se vérifie surtout en rock/pop, musique où beaucoup d’instruments analogiques comme la batterie, la basse ou la guitare sont utilisés. Pierre ajoute qu’il n’y a pas qu’une façon de faire (home studio, studio classique, combinaison des deux) et que c’est très bien comme ça.

Je trouve que cette dernière phrase de Pierre clôture plutôt bien ce petit tour d’horizon autour du home studio. Il rejoint mon avis sur le fait que la musique n’est pas réservée à celles et ceux qui ont de l’argent (le talent c’est autre chose) ! On sait que les musiciens qui peuvent en vivre décemment sont rares. Et c’est justement là que la diversité des créations naît et c’est, je trouve, intéressant. Sans cette démocratisation ou facilité de création et de production, il y aurait beaucoup moins d’underground, d’alternatif et de DIY. Que ce serait ennuyant !
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AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

► COMMENTAIRES

POGOLOCO100.1MHZ - 26-06-2020, 22:15
C'est exactement ce que j'ai dit dans une de nos émission Pogo Loco sur 48fm , le fait de ne plus enregistré à l'ancienne retire un peu de chaleur à tout ça . j'aime beaucoup le stoner car on a encore tendance à enregistrer en prise direct . Les batteries artificiels par exemple je n'en suis pas fan .Avant créé un album solo était un vrai putain de challenge ,aujourd'hui c'est devenu bannal avec cette technologie , il suffit presque de plus s'y connaitre en informatique qu'en musique ,nous sommes à la croisée des chemins avec ces systèmes un peu comme quand il a fallu choisir entre le CD ou le vinyle ! ,persos je dois être vieux jeux je préfère le vinyle ...
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