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La cassette, le plus underground des supports audio ?

Lundi 16 mai 2022

Qui se souvient de cette petite boîte en plastique avec un ruban magnétique brun à rembobiner ? Des années 60 aux années 90, la cassette audio a permis à la musique de sortir de la maison, de devenir portable, d’enregistrer un morceau qui passe à la radio (avec le début si on avait de la chance) ou de faire des copies et des compils pour ses potes ou ses amoureux·ses. Ça date, hein !? La cassette sera ensuite détrônée par le CD puis par les fichiers numériques mais il semblerait qu’elle ne soit pas totalement obsolète aujourd’hui. Explications.



Il m’a paru intéressant de creuser le sujet quand j’ai remarqué que plusieurs groupes sortaient régulièrement leurs nouveautés sur cassettes. Ce qui a immédiatement fait germer dans mon cerveau l’idée que cet objet ne se trouvait pas que dans les brocantes ou dans le fond de son grenier (ce qui est mon cas).

Prenons l’exemple d’Ohio Mark
Ohio Mark


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, qui, il y a quelques mois, a sorti son premier EP sur cassette. « Le label Sentimental a aussi sorti quelques compilations avec nos chansons, poursuit Erik Van Hoecke. Tout comme le vinyle, la cassette offre des défis amusants pour créer des œuvres d’art adaptées aux support physiques. C’est juste une chose amusante à avoir, au lieu de posséder seulement le mp3 ou un flux. »

« La cassette convient aussi bien à la scène underground, dont nous aimons penser faire partie. »

Erik ajoute que le vinyle est cool mais cher et que la cassette est cool aussi et vraiment pas chère.

Pablo Fleury de Slamino
Slamino


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a aussi fait le choix de sorti son premier EP sur cassette. Sa musique étant composée et arrangée principalement sur ordinateur, il a souhaité matérialiser son EP et la cassette lui a semblé la meilleure option. Il développe : « C'est un support un peu ''hors du commun'', qui peut être manufacturé assez rapidement, pas trop cher et à petit tirage pour pouvoir être vendu et collectionné. J'ai donc voulu proposer un bel objet soigné, décliné en 3 versions à 50 exemplaires chacun. » Pablo ajoute que la cassette a un statut d'objet de collection. Même si elle ne sera jamais écoutée, elle reste un objet qu'on peut juste avoir envie de se procurer.


Crédit photo: Slamino.

Le support qui étonne (ou pas)

La cassette séduit aussi les labels même si ce n’était pas gagné au départ. Juliette Demanet de Luik Music m’explique que, vu les quantités sorties et vendues, l’équipe était un peu frileuse par rapport à ce format. Mais, vus les délais et les coûts de fabrication du vinyle, le courant a changé. « En tant que petit label indé, ajoute Juliette, on est obligé·es de multiplier les sources de revenus, on ne dépend pas uniquement de la production de disques.

« Il faut aimer le DIY et ne pas être trop pointilleux sur le son. »

Je vois mal un projet de nu-jazz ayant investi des milliers dans un enregistrement sortir une cassette ensuite, alors qu'un projet pop ou lo-fi s'y prête bien. C'est plutôt lié à la bedroom pop ou à l'électronica. »

Mary Berthelot du label français Ideal Crash s’étonne, depuis quelques années, d’entendre parler du retour de la cassette. Elle n'a pas vu de forte augmentation des ventes entre 2011 et 2022. « La cassette est plus présente dans les séries ou films, à le revival 80's, poursuit Mary, mais ce n’est pas pour autant que les ventes de cassettes explosent. Cela reste pour les mélomanes, les collectionneurs·ses, les nostalgiques ou les personnes ayant des plus petits budgets. »
Mary me confie avoir bien plus d'idées de packaging avec la cassette qu'avec le CD. Par exemple, la cassette de Reliefs comprend un origami et celle de We are Van Peebles est cachée dans un livre.

« On a souvent des personnes qui nous disent ne pas avoir de lecteur. On a pensé à eux·elles car chaque cassette est accompagnée d'un code de téléchargement. »

Pour 8€, vous avez l'album digital et une cassette en édition limitée avec un packaging fait main.


Crédit photo: Ideal Crash

Le support de la créativité et de l’originalité

En fait, le truc, comme l’explique Rémi Venant de La Jungle
La Jungle


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qui a l’habitude de faire des sorties cassettes, c’est de ne pas chercher à élargir son audience avec ce support. « Nous utilisons plutôt la cassette pour étoffer notre discographie avec des productions plus hybrides qui peuvent donner un second souffle à des albums sortis il y a deux ou trois ans, précise Rémi. On a plutôt tendance à concevoir des objets assez léchés comme des coffrets double cassettes couleurs, à bosser avec tel ou tel illustrateur ou tel ou tel fabriquant qui se charge de la duplication, quitte à faire des marges plus faibles sur des éditions qu’on finance de A à Z. Du moment que l’objet est beau et un peu inédit, on est partants. »

Renaud Ledru de Alaska Gold Rush
Alaska Gold Rush


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ajoute que si le public veut écouter sa musique, il va le faire sur internet. Celles et ceux qui décident d’acheter quelque chose le font pour garder une trace du concert et aider le projet à continuer. Je suis frappé, dit-il, par le fait que, lors de récentes dates en France, plusieurs personnes m'ont sincèrement avoué préférer le son des cassettes. Même s'il est moins clairement défini, le son est généralement compressé de manière chaleureuse, il est plus ''rond''. C'est un objet nostalgie mais que beaucoup de labels et d'artistes arrivent à faire vivre de manière créative et originale. »

« Ça ne révolutionnera sans doute pas le monde de la musique mais ça permet de l'ancrer un peu dans le réel, l'artisanal, l'humain. »


Crédit photo: Ideal Crash

Le support de tous les possibles

D’autres poussent la démarche un peu plus loin ou ont un usage un peu différent de l’objet. C’est le cas de Ben Van Houdt, musicien belge qui évolue en solo sous le nom de Sitka. Fasciné par le son de l’écho sur cassette, il crée de la musique avec des bandes magnétiques. « L’enregistrement et la lecture de l’audio dans le domaine analogique, précise Ben, implique un certain ensemble de règles et de limites. Pour moi, ces limitations construisent en fait un royaume de possibilités et je peux en rêver pendant des heures. »

« À une époque où tout est facilement accessible, les choses qui sont difficiles à trouver deviennent plus précieuses d’une certaine façon. Je pense que les gens qui sont prêts à faire l’effort le reconnaissent. »

Ben ajoute qu’il aimerait que la culture des cassettes continue de croître mais pas avec des matériaux vieux de 30 ans. Certaines entreprises comme Recording The Masters en France (que je n’ai malheureusement pas réussi à joindre) produisent de nouveau des bandes magnétiques.


Crédit photo: dadaisttapes.com

Jef Mertens, réalisateur et musicien expérimental, sort lui de la musique sur cassettes via son label Dadaist Tapes. Celles-ci peuvent être commandées gratuitement (dadaisttapes.com) jusqu’à ce que le stock soit épuisé. Pour tout vous dire, Jef reçoit une compensation financière quand il va en vélo au boulot et il investit cet argent dans la production de cassettes. « La musique que je sors est principalement expérimentale, dit-il, et la quantité sortie oscille entre 25 et 50 cassettes. Je pense que les cassettes perdureront tant que les usines de production survivront. Je ne vois pas la demande de cassettes disparaitre. De plus en plus d’artistes grand public sortent des cassettes. Les plus gros labels le font aussi. »

Debay Henry alias Daddy K7 est présenté comme le protecteur de la cassette. Avec une collection de près de 30.000 pièces, le Bruxellois propose des installations participatives en festival. Qu’est-ce que c’est, au juste ? « Et bien il y a des station d'écoutes ou le public peut chercher une chanson, explique Daddy K7. Il·elle enregistre ensuite une dédicace sur une cassette. Après, on diffuse la dédicace suivie de sa sélection. On crée ainsi une ''compilation'' unique. » Daddy K7 propose également des espaces d’expérimentation pour farfouiller, assembler, déposer, arranger, trafiquoter des cassettes et leurs boites pour créer des assemblages insolites, spontanés et éphémères.
« Je veux protéger la cassette, conclut-il, parce que nous avons une responsabilité vis à vis des ressources utilisées pour la fabriquer. On ne peut pas les recycler. »

Effectivement, cette dimension écologique est importante aussi. La cassette peut être, d’un côté, un outil pour toutes sortes d’expérimentation et, de l’autre, un vrai support pour diffuser de la musique et de la création artistique.
Je ne sais pas vous mais ce petit tour dans le monde de la bande magnétique m’a appris plein de trucs. Je considère maintenant la cassette plus comme une petite pépite gorgée d’art et de DIY que comme un ramassage poussière !

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AUTEUR : Isabelle
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière ve...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en ju...
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....
Ancienne journaliste notamment pour la presse régionale de la province de Luxembourg, elle a couvert, avec son carnet et son appareil photo, beaucoup de concerts et événements culturels et musicaux. Les conditions de travail des journalistes (qui ne sont toujours pas au top, soit dit en passant) ont fait qu’elle a réorienté sa carrière vers un autre secteur et qu’elle est devenue terriblement en manque… d’écriture. A rejoint l’équipe en juillet 2016....

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