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Les excentriques d'aujourd'hui annoncent le monde de demain...

Interview de Laurent Courau...


Lundi 17 mai 2010

Avez-vous envie de tourbilloner dans les profondeurs de la spirale des contres cultures ? Alors Shoot Me Again n'a pas hésité à contacter, Laurent Courau,créateur de La Spirale. C'est lui qui va nous y emmener, et il sait de quoi il parle, car le milieu, il l'observe et le côtoie depuis 20 ans.
Mais Laurent est également réalisateur, journaliste, producteur et il a également collaboré avec des médias français et étrangers, comme Arte, Libération, Le Monde, Technikart...

Place à lui...



1)Monsieur Courau, j’ai lu que votre site abordait des sujets aussi nébuleux que la cyberculture, la contre-culture et les subcultures, mais concrètement toutes ces nuances veulent dire quoi dans la période actuelle ?

Bon, on va commencer par un bref rappel historique... (sourire) La contre-culture et la cyberculture sont deux phénomènes bien identifiés, apparus à des périodes bien précises. Le premier est né aux États-Unis dans les années 60, autour des hippies et des mouvements de contestation contre la guerre du Viêt-nam. Par extension, le terme a été utilisé pour l'ensemble des mouvements de rébellion des décennies suivantes, tout ce qui s'érigeait contre l'ordre établi, comme le punk, le mouvement queer, la culture industrielle ou le hardcore des années 80.



Plus récente, la cyberculture se situe au croisement de la contre-culture et de l'explosion de l'informatique du tournant des années 80 et 90. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'un de ses principaux théoriciens est Timothy Leary, le pape du LSD des 60's. On lui doit d'ailleurs un étonnant parallèle entre les drogues psychotropes et la micro-informatique qui motivera les éditeurs de High Frontier et de Mondo 2000, les deux magazines cyberculturels de référence. Sans oublier bien sûr William Gibson, Bruce Sterling et le mouvement littéraire cyberpunk qui ramené la science-fiction sur Terre, plus précisément dans la rue.
Quant aux subcultures, le terme désigne un ensemble fluctuant de cultures souterraines et parfois éphémères qui se différencient de la culture de masse de leur époque. Il en existe des myriades. Le genre est en perpétuel renouvellement, d'autant plus avec l'Internet qui permet à des individus géographiquement éloignés de partager les mêmes passions et les mêmes centres d'intérêt. Par exemple le fétichisme, le cosplay ou les modifications corporelles, des pratiques qui regroupent des dizaines de milliers de personnes dans le monde sans véritables relais dans la culture de masse.
Savoir ce que ça signifie aujourd'hui ? Ni plus, ni moins qu'hier ou demain. Il y aura toujours des cultures marginales, des avant-gardes subculturelles avec leur lot de génies et d'inventeurs, d'imposteurs, d'escrocs et de récupérateurs. À mon sens, elles fonctionnent un peu comme des laboratoires clandestins, des centres d'expérimentation souterrains où des ingénieurs fous échafaudent des parcelles de notre futur commun.

2) Quels sont vos objectifs par rapport à La Spirale ?

Continuer à développer le site avec de nouveaux contenus, de nouvelles fonctions et de nouvelles ramifications. Notre audience est en hausse constante et nous devons répondre à cet engouement en faisant preuve d'imagination. Nos cartons débordent de projets, notamment des compilations musicales et sonores avec nos camarades de Volvox Music (http://www.volvoxmusic.com) ou encore un bazar virtuel qui proposera à la vente une foule de raretés et de bizarreries en matière de vidéos, de musiques, de livres et pourquoi pas de t-shirts et d'objets culturels atypiques.
Dans un délai plus court, nous démarrons la production de nos propres films documentaires et envisageons d'éditer nous-mêmes des ouvrages que nous aimerions voir exister. Je pense par exemple à des livres collectifs thématiques, à des sortes de guides de survie pour le XXIe siècle. (sourire) Mutations pop & crash culture (www.laspirale.org/texte.php?id=133), la première anthologie de La Spirale, puis Vampyres, le livre et le film (www.laspirale.org/video.php?id=240), m'ont apporté l'expérience nécessaire pour mener à bien ce genre de projets. On gagne beaucoup à faire les choses par soi-même.
Et ça se situera, comme souvent chez nous, dans une zone-tampon entre la réalité et la fiction, chacune se nourrissant de l'autre. Je pense par exemple à deux projets de documentaires qui font implicitement référence à la science-fiction et au cyberpunk pour étudier certains de nos futurs possibles. Affaire à suivre sur La Spirale dans les prochains mois.



3) Comment vous définiriez-vous ?

C'est toujours une question un peu difficile. J'espère rester quelqu'un de curieux, un genre de nomade perpétuel. J'essaie de rester éveillé, en mouvement. Il m'arrive souvent de changer de ville et de pays au gré des projets et des rencontres. Après New York, Genève et Paris, je suis actuellement sur Lyon où j'ai la chance de collaborer avec Thierry Ehrmann et la Demeure du Chaos sur un long-métrage et des projets de livres qui s'avèrent passionnants.
Depuis mon enfance, j'ai aussi vécu au Maroc, en Lybie, en Italie, en Inde, en Grèce et dans différentes régions de France. Ca évite de s'endormir dans un confort sédentaire. Même chose d'un point de vue culturel, j'aime varier les plaisirs en écoutant, en lisant et en vivant des choses différentes. Et je me suis jusque-là arrangé pour écrire des livres et réaliser des films à partir de ces expériences, quand elles ne se retrouvent pas directement sur La Spirale.

4) Vous abordez des thèmes très variés, mais quels sont ceux qui vous tiennent particulièrement à coeur et pourquoi ?

Globalement, tout ce qui a trait aux réponses aux problèmes auxquels nous sommes tous confrontés. Après, il faut fouiller et ne pas hésiter à plonger les mains dans la crasse.
Au risque de me répéter, je crois fermement que les solutions viennent de zones où on ne les attend pas. Les mouvements culturels les plus importants de ces dernières décennies sont nés dans les bouges du Lower-East Side new-yorkais pour le mouvement punk, sur les terrains de basket du Bronx pour le hip-hop, dans des usines désaffectées de la grande ceinture londonienne pour la techno avec les raves illégales de la seconde moitié des années 80.
Et on retrouve des origines aussi éclatées et disparates chez certains phénomènes économiques, sociaux ou politiques promus à un bel avenir comme l'écologie, le micro-crédit, les systèmes d'échange libre, le végétarisme, les médecines orientales qui se basent sur la prévention, etc. Autant de concepts qui ont pu sembler farfelus par le passé, mais se révèlent essentiels avec le temps.

5) Je vais rester assez évasif, mais vous êtes également réalisateur de films, pouvez-vous nous en dire plus ?

J'ai commencé par réaliser des vidéoclips pour des amis qui jouaient dans des groupes punks en région parisienne, avant de partir travailler durant une année à Athènes avec le réalisateur grec Dimitri Kollatos. En rentrant en France, j'ai croisé la route de Sandi Scott qui dirigeait le label Geffen Records et qui m'a proposé de travailler comme réalisateur sur des publicités pour Beck, Nirvana
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, Sonic Youth
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ou Aerosmith
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Mais j'ai fini par claquer la porte des maisons de disque suite à une série de mésententes et de déceptions, pour ne revenir à la réalisation qu'à la fin de l'année 2002 en travaillant pour l'émission Tracks sur Arte. L'un de mes reportages a donné lieu à Vampyres (www.laspirale.org/photo.php?id=227), un film documentaire plus ambitieux qui m'a finalement pris près de cinq années de travail avec des tournages à New York, entre Spanish Harlem, l'East Side et le Queens, à la Nouvelle Orléans, à Venise et à Amsterdam, au Japon.
Nous en avons tiré un livre, Vampyres, quand la réalité dépasse la fiction, publié avec Lukas Zpira qui en signe les photographies, et le film Vampyres qui vient d'être distribué en France par le Chat Qui Fume (www.lechatquifume.com/nos-films/nouveaute/vampyres/). Et pour conclure sur le sujet, je tourne actuellement en région lyonnaise Les Sources Occultes (www.laspirale.org/video.php?id=284), un long-métrage de fiction centré sur la Demeure du Chaos dont j'ai intégré l'équipe au mois de novembre 2009.
Il s'agit d'un film fantastique, érotique, pop et décalé, avec son lot de mutants, de zombies et de créatures nocturnes, de gangs urbains et de processions religieuses, de rites secrets et de scènes d'hystérie collective filmées dans un décor époustouflant, chargé de sens et de symboles. Des séquences filtrent régulièrement sur Internet à travers le blog de Thierry Ehrmann (blog.ehrmann.org/) et La Spirale, en attendant le site officiel qui est en cours de réalisation.



6) Les excentriques d’aujourd’hui annoncent le monde de demain, c’est une phrase que l’on retrouve régulièrement sur votre site, mais pour revenir aux excentriques, quels sont ceux qui vous ont le plus surpris, étonnés ?

Grande question… J'ai envie de répondre que chaque personne présente sur La Spirale a apporté sa pierre à l'édifice. Plus proche de moi, il y a bien évidemment des personnes avec lesquelles j'ai travaillé ou je travaille encore comme Lukas Zpira ou Thierry Ehrmann. Les deux se défendent assez bien sur le terrain de l'excentricité.
Mais je pourrais aussi vous parler de Marcos Drake, moine shaolin, spécialiste du vampirisme et occultiste lausannois, de Jean-Paul Bourre, un des secrets les mieux gardés de l'underground hexagonal, de mon amie Farrah, femme du troisième millénaire et grande spécialiste des images numériques, de Cindy Plenum et de la paire de seins qu'elle s'est faite implanter dans le dos, du professeur Kevin Warwick qui s'implante des puces électroniques pour mieux communiquer avec son ordinateur, des cyberfreaks du CyberBuss, de Rémi Sussan et de Maxence Grugier, infatigables défricheurs des avant-gardes culturelles et technologiques. C'est une (très) grande famille ! (sourire)

6bis) Et ce monde de demain…., vous le voyez comment ?

Difficile à dire, les bouleversements qui secouent nos sociétés sont de plus en plus brusques et imprévisibles. On l'a vu récemment avec l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll qui a perturbé le trafic aérien au-delà des frontières européennes en coûtant des centaines de millions d'euros aux compagnies aériennes. Nos sociétés sont fragiles, interdépendantes et soumises aux sautes d'humeur des marchés financiers, aux accidents naturels ou technologiques. Nous sommes précisément en train d'en payer le prix.
Parmi les grandes tendances, je ne serais pas surpris d'un retour très fort au régionalisme et à la vie locale, dans la droite ligne des partisans de la décroissance et des communautés du sud de la France dans les 70's. Comme une forme d'écologie de survie qui s'appuierait sur l'auto-production, le micro-crédit et le troc, motivée par des nécessités économiques. De la même manière, on peut imaginer que l'analogique revienne à la mode face au contrôle de plus en plus efficace des réseaux numériques.
Et en face dans une dynamique inverse, une minorité de puissants qui seront les premiers humains à fusionner avec les machines au moyen des thérapies géniques et des nanotechnologies avec des bénéfices tels que l'éradication de nombreuses maladies et une extrême longévité. Guettons du coin de l'oeil ce que les cliniques privées suisses proposeront dans les prochaines années à leur clientèle fortunée. En somme rien de nouveau, des centaines de romans de science-fiction ont annoncé des événements similaires.
On reste sur un principe d'accélération et d'intensification de l'existant avec un monde de plus en plus scindé entre la micro minorité qui possède la quasi totalité des richesses de notre planète et l'immense majorité des êtres humains qui la peuplent. L'édition 2007 de State of the Future, un rapport officiel de l'université de l'ONU, statuait que les inégalités entre les pauvres et les riches n'avaient jamais été aussi criantes dans l'histoire de l'humanité. Ce qui signifie tout de même que la répartition était plus équitable au Moyen Âge. Ca laisse un peu rêveur...



7) Vous savez maintenant que Shoot Me Again est un site de musiques alternatives, j’aimerais connaitre votre avis par rapport à cette scène ?

C'est simple, c'est précisément là d'où je viens. J'ai démarré ma carrière de mélomane à l'âge de onze ans en achetant l'album « Nevermind The Bollocks » des Sex Pistols, ce qui m'a amené vers les scènes punks des années 70 et 80. De fil en aiguille, je me suis impliqué dans la seconde moitié des années 80 en participant à la sonorisation de concerts avec une structure parisienne liée à la scène alternative de l'époque (Bérurier Noir
Bérurier Noir


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, Wampas
Wampas


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, OTH, Garçons Bouchers, …), mais aussi aux débuts du hip-hop et de la scène techno underground en France.

En parallèle, il y a eu l'arrivée du hardcore américain et j'ai rejoint l'Elastic Crew Enterprize, une association avec laquelle nous avons organisé les trois premiers concerts de Fugazi en France, mais aussi ceux de NoMeansNo, Youth of Today, Gorilla Biscuits, DI, les Vandals, Godflesh, les Hard-Ons et des dizaines d'autres. A la même époque, je manageais les G.I. Love, un groupe de hardcore avec lequel nous avons tourné dans un nombre incalculable de squats européens. Nous avons notamment atterri par hasard à Berlin durant le week-end qui suivait la chute du Mur où le groupe donnait trois concerts en première partie des Instigators.
Donc oui, j'avoue entretenir un rapport assez étroit avec les scènes musicales alternatives. Et je reste très consommateur de musiques en tous genres. En ce moment, j'écoute « Sea of Cowards » de The Dead Weather, « Ibi Deficit Orbis », le dernier album de Bak XIII, The Dwarves, les premiers albums des Butthole Surfers, « Cubist Blues » d'Alex Chilton, Alan Vega et Ben Vaughn, les compilations « Beat at Cinecittà » sorties chez Crippled Records, Die Antwoord, The Crucifucks, l'album thrash des Hard-Ons, Os Pazuzus, un vieux 3rd Bass, la bande originale de la série Afro Samurai par RZA, T-Model Ford et encore plein d'autres choses.

8) Pouvez me parler de l’équipe qui vous entoure ?

Il n'y a pas d'équipe à proprement parler, plus une nébuleuse d'individus qui se compose et se décompose en fonction des besoins de La Spirale et des humeurs de chacun. Outre Lukas Zpira et Thierry Ehrmann cités plus haut, il y a des amis et des proches comme Hugues Robert qui a joué un rôle de premier ordre dans le redémarrage du site en 2008 mais l'ensemble de nos contributeurs est trop nombreux pour être cités ici.



9) Le mot de la fin pour nos lecteurs ?

Ca fera bientôt quinze ans que La Spirale existe sur Internet, ce qui représente à mon niveau des milliers d'heures de travail bénévole. Et je ne regrette pas un instant de m'être investi dans un tel projet. La Spirale a changé ma vie en me donnant l'occasion de rencontrer et de questionner des personnes qui m'ont inspiré. Tout ça pour dire qu'il est important de ne pas s'enfermer dans un carcan, d'être ouvert aux autres, de faire preuve de générosité et de refuser l'égotisme dominant.

Il ne me déplairait pas d'assister au retour des utopies dans la culture populaire. L'actuel tropisme dystopique est parfaitement stérile. D'accord, nous faisons face à la fin d'un monde et tout reste à reconstruire, comme le souligne l'actuelle crise systémique. Mais c'est justement l'occasion de prendre un nouveau départ et de faire preuve de volontarisme. Si le futur reste à écrire, il ne tient qu'à nous de prendre la plume et de nous lancer dans la course !

Voilà l'adresse qui vous emmenera loin, très loin....

http://www.laspirale.org







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